Anne-Marie est née à Guérande en Loire inférieure (Loire Atlantique) le
26 juillet 1909. Avant la guerre, en 1938, elle rencontre Daniel Dalmeyda mon
grand-père dans un restaurant de la rue des Pyramides à Paris où elle
habitait (perpendiculaire à la rue de Rivoli). Lui est marié et a deux
enfants, il travaille aux Magasins Réunis. Elle travaille aux PTT (Poste,
télégraphe et téléphone) elle devient sa maitresse.
A l'été 1942, après la rafle du
Veld'hiv, Daniel quitte Paris pour
s'installer dans la région lyonnaise où il se fait muter. Il s'installe à
Chaponost dans la banlieue sud-ouest. Anne-Marie se fait elle aussi muter pour
vivre prêt de son amant. Elle habite rue d'Algérie à Lyon.
Arrestation le 3 novembre 1943
Daniel passe une nuit sur deux chez elle, une nuit sur deux
chez lui. Daniel est impliqué dans la résistance. La Gestapo le recherche.
Lorsqu'elle se fait arrêtée le 3 novembre 1943, c'est en fait lui qui
était recherché. Elle est transférée à Compiègne. Elle a 34 ans.
Elle lui
fait promettre de s'occuper de sa mère vivant dans sa ville natale de
Guérande.
Déportation le 31 janvier 1944
Elle en part vers 10h, le matin du 31 janvier 1944 dans un convoi. Dès ce
jour, elle porte le numéro 26623.
30/1/44
Ma petite Maman, je pars en Allemagne. Surtout ne te
fais pas de souci, je veux te retrouver en bonne santé en revenant. Mon
moral et ma santé sont excellents. Si tu peux préviens Tonton Jules. Je
vous embrasse tous bien fort.
Anne-Marie Roussel
Ravensbrück le 3 février 1944
Le 3 février, après 3 jours de transbahutage, elle arrive
à Ravensbrück.
Avril 1944
Cher amis,
Je suis très chanceuse depuis Noël
Ich bin sehr glucklich zhin Noël nich von mir zu gehen.
Ma santé et mon moral sont très bons.
J'espère que votre...(voir
original)

Depuis Lyon, Daniel cherche à savoir ce qu'elle est devenue
et apprend où elle se trouve. Sa belle-sœur Colette lui trouve un moyen de lui
envoyer des colis. Elle lui écrit sur du papier à entête du Ministère des
prisonniers de guerre, déportés et réfugiés. (voir
original)
Mon cher vieux
J'ai un moyen pour toi de communiquer régulièrement avec
Anne-Marie et lui envoyer des colis par la Suisse (des colis qui arrivent
intacts). Envoie moi immédiatement une lettre pour elle en allemand et son
numéro de matricule, etc...Si tu viens à Paris, apporte donc du coton
hydrophile. Merci. Milles bises.
Colette
Daniel écrit à une tante d'Anne-Marie le jour J, le 6
juin 1944.
Nantes le mardi 6 juin, Chère Tante
Je viens de recevoir d'une collègue d'Anne-Marie à Lyon
quelques renseignements. Anne-Marie vient d'envoyer de ses nouvelles. Elle se
trouve dans un camp de concentration en Allemagne. Sa santé et son moral sont
très bons. Elle dit d'embrasser sa mère de tout cœur pour elle et de lui
dire de ne pas se tourmenter à son sujet. Elle demande des colis assez
souvent du ravitaillement ou du linge. Ne pas oublier du savon et de la pâte
dentifrice. Anne-Marie a droit de recevoir chaque mois une lettre et une
carte-postale. Les envois d'argent sont autorisés par mandats postaux dont
les coupures porteront le prénom, le nom, la date de naissance et le numéro
de la prisonnière écrits très lisiblement et en résumé. Les colis de
nourriture peuvent être reçus en tout temps et et toute quantité.
Personnellement je devrais envoyer un mandat à Anne-Marie. Je ne sais si
la Poste l'acceptera. Je vais aller voir à la Croix-rouge s'ils acceptent des
colis pour les internés civils en dépit du débarquement. Je lui enverrai un
colis à la fin de la semaine.
Voici son adresse :
Prisonnière réfugiée Fraulein Roussel Anne-Marie n°27922, Block
13
– Frauen Konzentrationlagen Ravensbrück bei Fürstenberg
- Mecklembourg – Deutchland
Il faut me répondre à Nozay Bd Hillereau - Loire inférieure
Affectueusement Daniel
Une vraie femme de France, Hanovre le 22 juin 1944
Elle passe 5 mois à Ravensbrück et en repart le 21 juin
pour arriver le lendemain à Hanovre. A partir du 26 juin, elle travaille à
l'Usine Continental. Elle y restera près d'une année.
Durant cette période Daniel écrit à la mère d'Anne-Marie apparemment sans
réponse.
Chère Madame,Voici la 4ème lettre que je vous adresse et
je suis fort inquiet de les voir rester sans réponse. J'aurai tant voulu
pouvoir donner de vos nouvelles à Anne-Marie qui s’inquiète surtout à
votre sujet. Que puis-je lui dire de vous quand je suis moi même sans
lettre ?
Dans son exil pénible et épuisant, mes lettres même écrites en
allemand suivant le règlement du camp sont son seul réconfort. Je lui
écris régulièrement, une lettre par mois c'est tout ce qui est autorisé,
et c'est bien peu. Les reçoit-elle seulement ? Je me le demande, étant
donné que moi même je n'ai rien reçu d'elle depuis juillet. Bien des
évènements se sont passés depuis. Le résistance m'a confié un poste
important et je suis à votre disposition si vous avez besoin de quoi que
ce soit.
J'ai essayé de faire passer par la Suisse lettres et colis, et la
Croix-rouge suisse m'a promis de faire l'impossible pour les lui faire
parvenir. J'espère donc qu'elle ne se sent pas abandonnée, et qu'elle
supporte courageusement son calvaire comme une vraie femme de France.
Répondez moi vite je vous prie et croyez que je vous suis bien
cordialement dévoué.
D. Dalmeyda,
Écrivez moi aux bons soins de Madame Poucet 34 rue du Palais Grillet,
Lyon.
Bergen-Belsen le 8 avril 1945
Anne-Marie repartira de Hanovre le 6 avril 1945. 2 jours plus
tard, le 8 avril elle arrive pour quelques jours à Belsen. Le 15 avril le camps
est libéré par les soldats anglais. Bien que libérées les prisonnières y
restent encore plusieurs jours avant de reprendre la route du retour. Le 25
avril, elle sort du camp pour la ville de Bergen.

Bergen-Belsen le 20 avril
Mon cher Daniel, j'espère que cette lettre te
parviendra. Depuis 18 mois je n'ai eu que 2 lettres de toi et 2 colis.
Nous venons d'échouer dans un camp terrible mais heureusement sous
le contrôle des Anglais depuis 8 jours. Maintenant nous attendons avec
impatience d'être rapatriées. Nous essayons de faire passer des messages
à la radio pour notre retour. Aussi tu seras sans doute averti de mon
arrivée. Je ne sais pas où m’arrêter : Paris ? Lyon?Je
pense que tu feras l'impossible pour me faciliter tout car comme tu dois
le penser, je suis à bout de forces physiques et morales. Heureusement la
volonté fait des miracles. Je suis très inquiète au sujet de ma petite
mère dont tu ne me dis pas un mot. J'avais pourtant osé espérer que tu
t'occuperais d'elle sérieusement tant au point de vue moral que
matériel. Je voudrais tant, tant la retrouver ainsi que tous ceux que
j'aime. As tu pu m'occuper de mon logement ? Ai-je encore un semblant
de chez moi ? Je m’arrête je ne saurais qu’exhaler de
l'amertume. Je t'embrasse. Annie
Bergen 29/4/45
Mon cher Daniel, j'espère que cette lettre te
parviendra. Je suis en bonne santé. Nous attendons toujours d'être
rapatriés mais ça semble vouloir s'éterniser et le temps parait bien
long. Tu ne peux donc rien faire pour moi ! J'espère te revoir
bientôt et te retrouver en bonne santé. Je ne sais rien depuis 18 mois,
tes 2 lettres que j'ai reçues ne disant presque rien. Pourtant Denise
sait le mauvais sang que je me suis fait à ton sujet et au sujet des
tiens. Je n'ai jamais rien eu de ma mère et je tremble de rentrer. Je
t'embrasse. Annie.

Bergen 29/4/45
Ma petite mère chérie, j'espère que cette lettre te
parviendra. Je suis en bonne santé et pense être rapatriée bientôt. Je
me fais surtout beaucoup de soucis pour tous les quatre. Si j'étais sûre
de vous retrouver bien portants, je trouverai encore beaucoup de courage
et d'espoir. J'espère que tu as pu communiquer avec Daniel et qu'il s'est
occupé de toi. Encore un peu de courage. Je vous embrasse bien fort.
Anne-Marie Roussel
le 6 mai
Cher Daniel, je suis toujours à Bergen dans une
caserne où nous sommes en quarantaine à cause d'une épidémie de
typhus. On parle de départ pour jeudi. On ne croit plus à rien. Le temps
est si long, si long. Et la santé s'altère de plus en plus malgré les
piqures nombreuses. J'espère recevoir un message de toi m'indiquant où
je devrai te retrouver : Lyon ? Paris ? Mais rien. Ai-je
vraiment si peu de chance pour que rien ne parvienne ou ne t'occupes tu de
moi ? Quelques défauts isolés ont eu lieu naturellement. Depuis Belsen
je t'ai adressé plusieurs lettres, je pense que tu les as. Que
fais-tu?Où es-tu ? Que penses-tu ? Attendre la libération
durant presque 2 ans c'est terrible mais ensuite attendre le retour avec
tout ce qu'il comporte, c'est affreux.
J'ai écrit à ma mère plusieurs fois aussi et je ne sais même pas si
elle vit encore ? Mon neveu ? Même question.
On a parlé de rapatriement par avion mais nous sommes
toutes si déficientes, si lamentables. On a perdu l'habitude d'écrire
librement et devant une feuille blanche on est un peu comme le faignant
d'un... devant le ... qui ne fait que répéter. Je suis content, bien
content d'un …
On ne sait pas si l'on doit continuer d'écrire, je suis en bonne santé
morale et physique comme on nous a obligé à le marquer pendant des mois
et des mois. Je t'embrasse bien fort.
Annie
Voyage du retour du 25 avril au 26 mai 1945
Le 17 mai le voyage reprend pour Soltau
où elle y reste jusqu'au 21 mai. Elle traverse Osnabrück
et Rheine deux villes
pulvérisées par les bombardements. C'est là qu'elle aperçoit les troupes
françaises pour la première fois. Après 80km en camion elle arrive vers à
23h à Sulingen. Le
lendemain vers 14h30, elle reprend le train à Sulingen. Après une nuit elle
arrive le 23 mai à Bedburg-Hau
à 6h30. Elle est auscultée par des médecins dans un camp de tentes :
« Nous trouvons des Belges entre autre le Dr Belge, les françaises =
0 ».
En fin de journée à 20h, elle reprend le train mais cette
fois-ci en seconde classe, sous entendu avant c'était les wagons à bestiaux.
Le convoi passe la frontière hollandaise à Clèves.
Le lendemain, le 24 mai 1945, il fait arrêt à Arras
Longueau, où les ex-déportées sont très bien accueillies par la
population. Elle écrit le 25 à Daniel lui demandant de venir la chercher à
l'hôtel Lutécia. (voir original recto
verso)
Paris 25/5/45
Cher Daniel, j'arrive on nous parque au Lutécia. J'attends. Je ne
sais que devenir. Annie
23 juin 1945
Ses collègues apprennent son retour. Elle travaillait avant de partir dans
un central des PTT.
Paris le 23 juin 1945
Mon cher collègue
Le personnel des centraux de l'immeuble Anjou ne
voudrait pas vous laisser revenir parmi nous après de longues années
de captivité, sans vous témoigner sa joie par une manifestation de
sympathie. C'est pourquoi nous avons organisé en votre honneur une
petite fête qui aura lieu le 5 juillet à 18 heures rue d'Anjou à
laquelle nous vous invitons ainsi que votre famille. Nous trinquerons
tous ensemble avec une bonne camaraderie , à votre santé et à votre
retour tant attendu parmi nous. Comptant sur votre présence, nous vous
prions de croire à nos sentiments les meilleurs. Le comité d’accueil.
7 juillet 1947
Le divorce de Daniel est prononcé officiellement. Il épouse
en seconde noce Anne-Marie le 11 mars 1948. Elle a 38 ans et lui 46.
7 aout 1957
Sur le brevet de la médaille militaire reçue attribuée à
cette date, il est écrit qu'elle est revenue grand invalide à la suite des
privations et sévices subis. (voir
original) Elle reçoit la Croix de guerre avec palmes.
24 septembre 1958
L'office départemental de la Seine reconnaît la qualité de combattant
volontaire de la résistance à Daniel. Une carte lui a été remise par la
Mairie de son domicile.
12 Avril 1986
A l'age de 76 ans, Anne-Marie se jette sous un métro. Elle est enterrée au cimetière de Thiais dans
le carré juif pour être près de ceux qui ont disparu en grand nombre dans les
camps qu'elle a fréquenté et quelle a certainement vu partir dès leur
arrivée.
Daniel décède le 11 novembre 1991 à l'hôpital de Boulogne-Billancourt.